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GEMINI, le troisième volet des DOUZE ELUS DE ZEUS, enfin disponible !

Aux EDITIONS PHENIX D'AZUR

Un petit extrait ? Le voilà :

CHAPITRE 9

JOURNAL DE MAÎTRE JOAO

Lundi 14 septembre 1500

Les Indes ! Enfin ! Nous avons réussi…

Après avoir bravé les colères de l’océan pendant presque six mois, après avoir perdu la moitié de la flotte, voilà que Calicut, la cité légendaire qui règne sur la côte du Malabar, étale devant nous sa radieuse beauté !

La première fois qu’elle nous est apparue, c’était le quinzième jour du mois d’août. Toutefois, pas question d’accoster dans un port aussi renommé et opulent avec des bâtiments à tel point abîmés, qui plus est sans autorisation !

Aussi avons-nous fait peau neuve à Anjadip, île antichambre de Calicut située à quelques encablures à peine de la ville, un passage obligé pour se ravitailler, mettre la flotte au sec, calfater et repeindre les coques des navires. Profitant de ce laps de temps, Pedro Alvares a dépêché à terre ses émissaires, des esclaves indiens ramenés par Gama. Grâce à leurs relations et leur parfaite connaissance de la langue, ils n’ont eu aucun mal à obtenir audience auprès du Zamorin.

Ainsi, à peine trois semaines après notre arrivée, c’est une flotte étincelante comme un sou neuf qui entre en grande pompe à Calicut, hissant hardiment les armoiries royales. Tandis que le capitão-mor franchit les portes donnant accès au cœur de la cité, je m’attarde un moment, m’immergeant dans la vie trépidante du port.

Côté mer, les vaisseaux ont envahi la rade. Ils sont si confinés les uns contre les autres qu’ils semblent reposer comme en lévitation sur des eaux invisibles, vif amoncellement de coques et de voiles qui offre une superbe palette bariolée.

Là, des jonques chinoises au profil large et plat flamboyant d’écarlate déploient leurs voiles veinées de chauve-souris, dont l’élégance si vaporeuse ne peut être que l’œuvre d’une gigantesque araignée qui aurait tissé sa toile de dentelle entre les veines de leurs ailes, toisant d’un œil oblique les autres bâtiments, de cet œil peint en noir sur leurs deux flancs avant pour guider leurs pilotes.

Ceux qu’elles semblent surveiller étroitement, ce sont les boutres maures, de loin les plus nombreux, aisément repérables à leur proue fuselée et leurs voiles triangulaires. Que ce soit d’imposants baggalas à la poupe carrée, ou des bhums plus modestes à la poupe pointue, tous attestent de la suprématie des Musulmans à Calicut.

Noyé dans l’affluence exubérante des marchands et commerçants, je ne sais où donner des oreilles et des yeux.

Je n’entends alentour que dialectes chantants où grésillent les accents du malayalam.

Partout où mon regard se pose, il ne rencontre qu’insolites et fascinantes tranches de vie.

Là, des Chinois aux yeux bridés et au teint olivâtre, portant tresse et barbiche soignées sous de drôles de toques bombées couleur d’ébène, arborent de seyantes vestes bleues à col rond aux manches évasées bordées de bandes noires, au-dessus de pantalons aile de corbeau. Quelques-uns leur ont préféré le hanfu, sorte de manteau escamotant leurs pieds, dont ils croisent les pans sur la poitrine.

En tout cas, quel que soit le costume choisi, de la modeste toile à la soie ou au satin des plus somptueux, les manches en sont si longues et si amples qu’elles peuvent couvrir sans peine leurs mains jointes au-dessus de la grande ceinture, dont les extrémités retombent élégamment…

Plus loin vaquent des marchands maures basanés enturbannés de blanc, leurs robes immaculées flottant comme une voile au vent à chaque pas.

Ils côtoient des Hindous à la peau brune et mate vêtus de la kurta, une chemise qui descend jusqu’à mi-cuisse par-dessus le shalwar, ce pantalon bouffant de la taille aux genoux, qui va s’étrécissant des mollets aux chevilles pour épouser la jambe.

Certains ont opté pour le dhoti, longue bande de coton ou de soie fort répandue au sud, dont on noue l’un des pans à la taille tandis que le second se glisse dans l’entrejambe, de façon à former un pagne plus ou moins long, que l’on se drape savamment autour du corps.

Ceux-là ont un regard de velours insondable, sombre telles les eaux d’un lac un soir d’orage, l’un de ces regards qui vous percent jusqu’au cœur, comme s’ils reflétaient l’âme de Calicut.

Sous leur poids, un frisson m’a hérissé l’échine.

La faune hétéroclite s’affaire et se bouscule dans un vif déploiement de sons et de couleurs où chacun va et vient à un rythme effréné, brassage disparate de peuples amalgamés qui trottinent sans cesse en un flot continu, débarquant et chargeant produits et marchandises à vendre ou à troquer. Telles de longues chenilles laborieuses, défilent en longs cortèges sacs de riz, sucre, perles, pierres précieuses de tous carats, cotonnades et soieries chatoyantes, noix de coco et huile de coprah, noix d’arec…

Et épices, bien sûr ! Cardamone… Gingembre, que les marchands arabes appellent « Zenj », un mot par lequel ils désignent aussi les habitants de l’Afrique de l’Est, et dont ils ont tiré le nom de Zanzibar où ils vont le chercher… Écorces de cannelle, venues d’Inde ou de Chine sous forme de rouleaux et de copeaux brunâtres, ou de poudre d’une teinte jaune orangé… Noix de muscade… Curcuma… Tant de richesses à portée de la main !

Pourtant, si rares que puissent être ces épices, je n’ai d’yeux que pour une, un trésor plus précieux que l’or, si convoité qu’il peut faire ou défaire la fortune d’un homme…

N’est-ce pas pour le poivre que nous sommes venus ?

Et du poivre, j’en vois ici à profusion ! Baies vertes, blanches ou noires, elles sont toutes issues du poivrier noir de Kerala, leur couleur variant selon le moment de leur récolte et leur préparation.

Les vertes sont cueillies avant maturité et conservées humides.

Pour obtenir les blanches, on les ramasse mûres, puis on brise leur péricarde pour extraire le cœur laiteux du grain.

Les rouges, il faut les récolter un peu plus mûres.

Quant au poivre noir, il vient des baies collectées presque à maturité qu’on met à fermenter, puis qu’on laisse sécher. Concassé et moulu, il mute en poivre gris, un mélange subtil des cosses et des cœurs broyés mariant intimement le noir des unes à la blancheur des autres.

Au beau milieu de cette pléthore de trésors, je me fais l’effet d’un petit garçon émerveillé évoluant dans un rêve éveillé. Accélérant le pas, je m’achemine vers le palais. Dans les rues, je croise de loin en loin quelques Turcs et quelques Éthiopiens…

Et des Maures… Et des Maures encore… Et des Maures toujours, comme s’il en pleuvait, des Maures arrogants, des Maures infatués de leur propre puissance, qui me lorgnent ou m’ignorent, m’effleurant d’un regard absent comme des maîtres survolant leurs esclaves…

Face à ce déploiement orgueilleux et massif, je ne peux empêcher mon esprit de douter de notre réussite. Comment pourrions-nous concurrencer ces barbares ? N’ont-ils pas eu raison de Vasco de Gama ?

Depuis le temps qu’ils ont le monopole du commerce en Kerala, ils ne reculeront devant aucun expédient pour nous évincer et convaincre le Zamorin de refuser l’implantation d’un comptoir portugais chez lui…

Dieu veuille que Pedro Alvares se révèle un meilleur diplomate que son prédécesseur !




Au XIVe siècle, l’État indien du Kerala affirme son identité régionale en abandonnant le tamoul pour le malayalam, langue de la famille des langues dravidiennes qui dominent en Inde du Sud.



État indien au sud-ouest de la péninsule indienne. Bordé à l’ouest par la mer d’Arabie, et à l’est par les Ghâts occidentaux couverts de forêts denses, il s’étend le long de la côte semée de lagunes de la mer d’Arabie.




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