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CHAPITRE I

 

IXION

 

 

Lancé au grand galop, le cavalier s’engouffrait au cœur de l’orage. Planant dans la tourmente à la lueur spectrale de l’astre lunaire, il avançait, telle une créature infernale directement issue du ventre de la terre. Dominant le vacarme assourdissant de la tempête, les sabots du cheval martelaient de leur claquement sec la route détrempée, rythmant la progression de l’homme et de la bête, qui luttaient vaillamment contre les éléments. L’un tenait fermement les rênes des deux mains, l’autre fonçait, perçant la barrière liquide qui se refermait aussitôt sur leur passage. Noyées dans la tourmente, leurs silhouettes sombres semblaient n’en faire qu’une. Menant un train d’enfer, l’homme parvint bientôt en vue du pont de pierre enjambant le Pénée. Le cavalier poussa un peu plus sa monture. Il avait aperçu les murs de Larissa, lovée dans un méandre du fleuve thessalien. Ce fils d'Océan et de Téthys prenait vie dans le massif du Pinde. Puis, courant d’ouest en est, entre la Macédoine, au nord, et la Thessalie au sud, il devait parcourir près d’un millier de stades[1], avant de se jeter dans l’Égée. La Thessalie, région particulièrement fertile et généreuse, grâce au Pénée, qui avait creusé la vallée du Tempé entre les monts Pélion et Ossa au nord-est, et la montagne Olympe au sud-est, était l’un des plus riches greniers à blé et à bétail du pays. Mais cette opulence même lui avait attiré nombre de convoitises.

Dès l’époque archaïque, elle avait été la proie des invasions. D’abord, les Thessaliens, venus d’Épire, avaient réduit en esclavage les peuples autochtones. Les Pénestes[2] avaient continué d’exploiter les terres agricoles, tandis que l’aristocratie, propriétaire des immenses domaines, s’était réservé l’élevage des chevaux. C’est au VIIe siècle qu’était née la Confédération thessalienne. Unifiant la contrée, elle avait étendu son influence sur la Grèce du nord, jusqu’aux montagnes et vallées environnantes. Maliens de la plaine du Sperchrios et Oetaeens se virent contraints de lui payer tribut, et de lui procurer des contingents de soldats....

 

 

[1] Un stade correspond à 185 mètres.

 

[2] Statut social intermédiaire entre l’esclave et l’homme libre.

 

 

...Grisé par les effluves moelleux et parfumés, Ixion s’abîma dans une moite torpeur. Au comble du bien-être, il se sentait flotter dans un rêve béat, où le glas de l’échec cuisant de son rival sonnait à ses oreilles comme un chant de victoire. Avec l’aide de Thèbes, éliminer Jason de Phères n’était plus qu’une formalité ! Quand il se décida à émerger du bain, il était d’excellente humeur. Empressées, les servantes le séchèrent, puis le vêtirent d’une tunique de lin fin. Alors qu’elles couvraient ses épaules d’une cape de laine pourpre, une femme apparut sur le seuil de la pièce. Les jeunes filles s’écartèrent avec respect. Aglaure, la nourrice d’Ixion, s’avança. Auréolé d’une couronne de cheveux argentés, son visage respirait la bonté.

— Enfin ! s’écria-t-elle avec soulagement. Te voilà, mon cher prince ! Quelle folie t’a pris de disparaître ainsi, sans prévenir personne ? Ton père est arrivé depuis longtemps déjà, et je ne savais plus quelle fable inventer pour qu’il prenne patience !

— Aglaure ! Depuis quand dois-je te rendre compte de mon emploi du temps ? Cesse donc de gémir, et conduis-moi à lui !

Sans répondre, elle l’escorta jusqu’à l’andrôn.

— Hâte-toi, ils t’attendent....

 

CHAPITRE II

 

APOLLON

 

Apollon aimait Delphes. Lieu béni entre tous depuis que les deux aigles envoyés par son père des deux côtés du disque terrestre s’y étaient rejoints, indiquant ainsi le Centre du Monde, le fils de Zeus y avait élu domicile. Tout au fond de son temple, au cœur de l’adyton[1], l’Omphalos reposait sur le « nombril du monde ». Symbolisant la toute-puissance de l’Oracle, cette pierre conique, protégée par une couverture de laine, était surmontée de l’effigie de deux aigles aux ailes déployées, sculptés en or massif.

Par la bouche de sa prophétesse, Apollon y rendait ses augures aux mortels. Parfois, il lui arrivait de leur refuser son oracle, par le biais de la chèvre[2]. Mais rares étaient les questions qui le contrariaient. Et Delphes demeurait son séjour favori.

D’ailleurs, il ne consentait à quitter les lieux que pendant les trois mois d’hiver, qu’il concédait à Dionysos[3]. La Pythie en profitait pour prendre quelque repos, tandis qu’Apollon s’en allait jusqu’au pays des Hyperboréens[4], pour y puiser inspiration et renouveau. Là, fondu dans l’éther, il séjournait au cœur du royaume des Trois Moires qui possédaient le pouvoir d’infléchir le destin. Quelquefois, elles lui accordaient la faveur de lui en dévoiler le secret. Alors, tandis que les doigts des Moires, entremêlant les fils du passé, du présent, du futur, tissaient habilement les trames de la vie des mortels, Apollon regardait défiler devant lui, en même temps que celui des hommes, l’écheveau perpétuel de son propre destin…

 

*****

 

 

 

[1] Fosse oraculaire située dans le temple d’Apollon, juste au-dessus d’une fissure naturelle. On y installait un trépied sur lequel la Pythie s’asseyait pour rendre ses oracles.

 

[2] Avant la prophétie, les prêtres arrosaient une chèvre avec l’eau des libations. Si l’animal tressaillait des quatre membres à la fois, cela signifiait qu’Apollon acceptait de rendre son augure.

 

[3] Dieu des ambiguïtés, des opposés, des jonctions, fils de Zeus et d’une mortelle, Sémélé, fille de Cadmos.

 

[4] Sorte de paradis lointain, pays idéal et légendaire, souvent assimilé à l’Atlantide.

TAURUS

CHAPITRE I

 

HÉRA

 

 

En ce temps-là, les Grecs s’appelaient Achéens.

Guerriers venus de l’Est[1] pour s’établir en Grèce, ils avaient pris l’Épire, conquis la Thessalie, la Béotie, l’Attique, et s’étaient installés dans le Péloponnèse. La civilisation crétoise minoenne ne leur survécut pas. Mais les peuples achéens surent s’en inspirer pour en perpétuer l’art et le savoir-faire.

Partout en Argolide s’élevèrent bientôt les murs cyclopéens des remparts mycéniens, enceintes formidables où les palais des rois, du haut des acropoles, dominaient les demeures des classes dirigeantes. De vastes cours royales offraient aux villageois la beauté de leurs fresques et de leur statuaire. De riches sanctuaires, des tombes à tholos côtoyaient ateliers et magasins des gens attachés au palais. Ouvriers, artisans, commerçants travaillaient au service du roi ou pour leur propre compte, exerçant leurs talents dans la fabrication de somptueux bijoux en or fin ciselé, en ambre ou en ivoire importé du Levant, de vases en céramique, et d’huiles parfumées qui étaient exportées même jusqu’en Égypte. Ils excellaient aussi dans l’industrie textile et la métallurgie : dagues, épées et armures, pointes de lances et casques façonnés dans le bronze, attestaient de leur art consommé de la guerre.

Te voilà donc, Mycènes, à l’époque appelée Helladique Récent, touchant à l’apogée de ta prospérité. La Grèce entière encense ta puissance et ta gloire, ô toi, la « Riche en or »[2] ! Atrée, ton souverain, règne sur l’Argolide. Autour de lui gravitent sa suite d’e-qe-ta, sa garde personnelle, et sa cour constituée de l’aristocratie et des hauts fonctionnaires qui logent dans l’enceinte fortifiée du palais. Il a sous sa férule les wa-na-ka vassaux d’Argos et de Sicyone, et gouverne, assisté de son ra-wa-ke-ta et de ses te-re-ta, le te-me-no où paissent les troupeaux de caprins et d’ovins, et qui procure ses abondantes récoltes aux da-mo laborieux.

Pour bien l’administrer, le royaume a été divisé en provinces, elles-mêmes scindées en districts que dirige un ko-re-te, aidé de son pro-ko-re-te. Enfin, chaque district comprend plusieurs da-mo que le do-mo-ko-ro préside, avec l’appui de son pa-si-re-u.

Ainsi, ton avenir semble se présenter sous les meilleurs auspices.

Pourtant il n’en est rien. Car toute ta richesse paraît bien illusoire face au destin funeste que réservent les dieux à la lignée maudite de Pélops et d’Atrée, et qui provoquera ton déclin et ta chute… Oui, tu succomberas, prestigieuse Mycènes, et tu disparaîtras…

L’Histoire est ainsi faite. Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait !...

 

*****

 

 

 

[1] Venus d’Asie Mineure vers 1430 av. J.-C.

 

[2] Homère, « l’Iliade ».

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